#Séries → Le fil rouge de Natacha
“Tout a commencé par mes poèmes, j’ecrivais presque malgré moi, ça me prenait sans prévenir … ça coulait à flot sans trop réfléchir … ça me dépassait. Et j’ai commencé à les broder … sur du lin blanc avec du fil rouge … et petit à petit c’est devenu un projet d exposition.Un jour j’ai appelé Geraldine et je lui ai demandé de participer à mon projet… de tirer le fil avec moi de ces poèmes , de ces broderies… d’interpréter mes créations à sa façon, de prolonger mon histoire et de créer son propre fil rouge. Je co créerai avec une céramiste à hyeres et elle est venue dans son atelier pour photographier notre processeur créatif. Mais comme un fait exprès la carte mémoire des photos qu’elle a réalisé de nous était abîmée et elle a perdu la quasi totalité de son travail... Tout le monde était hyper déçu mais moi ça m’a plu en fait je me suis dit que c’était un mal pour un bien parce que j’avais envie qu’elle prenne la parole d’une manière plus créative sur ce projet.
Je ne voulais pas qu’elle « serve » mon travail, qu’elle le documente je voulais qu’elle aille plus loin, qu’elle soit elle même artiste co-créatrice et qu’elle produise une œuvre, certes inspirée de mon travail mais totalement personnelle. Je lui ai dit de manière très enjouée et un peu provocatrice « et ben finalement tant mieux que ces photos soient perdues parce que c’était pas ce que j’imaginais comme collaboration entre nous, maintenant ça va t’obliger à prendre la parole artistiquement et à arrêter de te cacher derrière un propos plus documentaire. » Ça l’a beaucoup énervé parce qu’elle n’aime pas que je la bouscule comme ça et que je la pousse à s’exprimer plus artistiquement et à s’assumer en tant qu’artiste… mais ça l’a suffisamment titillée et piquée dans son égo pour la challenger et lui donner envie de jouer le jeu avec moi Elle m’a répondu avec une forme d’arrogance mi feinte: tu as du fil rouge ? J’ai dit « oui » Elle m’a dit « Il m’en faut plein » J’ai dit « ok » Et elle a enchaîné très déterminée « ce sera toi mon modèle et je veux que tu sois nue » J’ai dit « non pas nue » On s’est entendue sur le fait que je pourrais mettre une chemise blanche mais suffisamment ouverte pour qu’ on voit mon corps, ma peau…
On a pris rendez-vous illico Et 3 jours après elle installait son studio photo chez moi, et me demandait de m’emmêler de fil rouge partout sur tout le corps cheveux, mains, bras epaules… … Et elle a shooté pendant 2 heures sans s’arrêter J ai un rapport au corps compliqué … Je ne suis pas très à l’aise pour me dénuder … j’ai du mal à assumer mes formes, mes rondeurs … Mais comme je l’avais défié provoqué je ne pouvais pas moi même ne pas lui donner le change. Alors j’ai joué le jeu à fonds sans trop me poser de questions … j’ai été son modèle… j’ai suivi ses demandes, ses instructions … et j’ai posé, j’ai joué avec le fil, mes cheveux, ma chemise qui me dénudait à moitié … mes formes, ma peau, mon corps, mes failles, mes complexes, mon image … et j’ai pris du plaisir à ne pas trop avoir peur, à dépasser mon appréhension, à dépasser la peur du regard de l’autre sur moi, à dépasser mes complexes, à dépasser la peur de mon propre regard sur moi, sur ce corps qui me gêne et que je n’assume pas sur ce corps qui m’embarrasse, qui me déborde… je suis sortie de mon ego pour servir son propos à elle, jouer le jeu de son art à elle parce que j’avais totalement confiance en son talent et en son regard Je me suis détachée de mon propre regard censeur, juge … sur esthétisant… Et ça m a fait beaucoup de bien …
Quand elle m’a montré les photos quelques jours après j’ai été scotchée par la beauté de la lumière, des couleurs, des prises de vue, du grain de la composition, du cadre… elle a un talent fou … ce clair obscur… ce fil rouge qui se détache sur fond noir, c’était vraiment très beau …
Au point que je parvenais à voir la beauté en soi détachée de mon ego et à ne pas me focaliser sur mes défauts, mes rides, mon grains de peau, mon excès de chair, de plis…
Je les voyais mais ils ne me dérangeaient pas … ils en devenaient presque beaux tellement ils étaient magnifiés par son regard et sa mise en lumière …
C’était doux rond enveloppant harmonieux généreux bienveillant courageux digne …
Je n’ai rien censuré …
Je l’ai laisse choisir les photos qu’elle voudrait exposer
Certaines pourtant me heurtaient notamment celle ou ma chair est prise dans les fils et déborde en bourrelet !!! Mais j’ai lâché prise, j’ai laissé faire
Et ma sœur quand elle a vu les photos n’en revenait pas que j’ai osé, que je l’ai laissé aller aussi loin avec moi avec mon corps, que j’ai réussi à dépasser mes limites, à oser montrer mes failles à oser me regarder de la sorte et à me confronter à mon image… sans fard … et elle a félicité Géraldine pour la beauté de ses photos mais aussi et surtout d’avoir réussi cette prouesse avec moi, d avoir réussi à me convaincre de me laisser faire, de me mettre à nu, de me dé-voiler … enfin …
De faire tomber le masque …
Et de l’assumer.
D assumer de voir mon image exposée dans une galerie avec des photos de moi en très grands formats …
Elle m’a honorée
Elle m’a libérée
Elle m’a magnifiée
Elle m’a réconciliée
Et je la remercie d avoir si bien tiré le fil avec moi et de donner à voir ce qui bat peut etre le plus fort en moi et que je ne montre pas à savoir mon intimité … blessée.
Merci pour ton si beau talent d’artiste Géraldine et ta si belle humanité.”
_Natacha Bensimon.
